La vie qui s'emploie à la force du coeur

La veillée auvergnate : Le papier argentin - 3ème partie

08/12/2018 11:09

3ème partie

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Il est amusant de constater que cet homme qui ne possédait rien, d’autre que sa masure et son âne, ne désirait rien, d’autre que sa vie fort remplie mais paisible ma foi, se mit à couver les caprices les plus farfelus.

 

D’abord il trouva que sa couche était bien pauvrette et se débrouilla pour tracer, au prix de gros efforts, un semblant de lit à baldaquin, sur un tout petit bout de papier, afin d’en épargner autant d’emplacements futurs, qu’il aurait de souhaits à exaucer…

Puis il trouva que la soupe était bien clairette et se mit, tant bien que mal, à dessiner du lard et des saucisses…

 

Repus, reposé à souhait, puisqu’il ne concevait plus, à présent qu’il avait de l’argent, de quitter le lit avant des tierces avancées, il pensa que tout de même, il méritait de s’offrir une ferme, une vraie, digne des plus grosses métairies du canton. Il se demanda alors s’il serait plus judicieux d’acheter le travail des constructeurs avec ses sous, ou de tenter de dessiner, aussi clairement qu’il le pourrait, la demeure de ses rêves, sur le papier…

 

Puis la vanité lui tournant les sangs, il se sentit piqué de l’irrésistible envie d’en remontrer à ces jean-foutres de la vallée, ceux-là même qui lui jetaient railleries et crachats au visage, lorsqu’il descendait au village, deux fois l’an…

 

Sauf que construire une ferme de cette taille prendrait des mois, alors que le papier lui, s’acquitterait de la tâche en une seule nuit…

Il résolut donc de demander au papier le bâti, tandis qu’il chargerait les meilleurs artisans de la vallée, les plus onéreux, de lui confectionner des rideaux, des salamandres et toutes ces joliesses qui faisaient si riche. Après tout, si ces fioritures prenaient du temps, ce n’était point grave, puisqu’elles ne serviraient à rien, qu’à lui donner prétexte à promener sa fortune, sous le nez des saloperies qui l’avaient tant méprisé…

 

C’est là que ses délires s’emballèrent. Tout y passa : des bijoux qu’il ne porterait jamais, aux domestiques pour s’occuper de Modeste, car il se fatiguait maintenant, de lui donner son foin quotidien…

 

Et à mesure qu’il faisait bombance, qu’il encombrait ses armoires de soieries orientales, il se découvrit une ribambelle d’amis, de conseillers de bonnes manières, toujours prêts à lui recommander les chausses à la dernière mode, ou le bon mot, qu’il placerait lors de sa prochaine réception. Tout ce joli monde grouillait autour de lui, et même si parfois cette agitation futile et tapageuse l’agaçait, il se disait que sa vie devait à présent ressembler à celle d’un Duc et que c’était bien ainsi.

 

Dehors, Modeste nostalgique de sa sérénité passée, tentait de survivre à l’écart, triste et ennuyé de son maître absent.

 

Un soir qu’il s’était retrouvé seul, finalement soulagé que le calme revienne, Antonin méditait. Il avait devant lui un petit morceau de papier, un peu jauni, pas plus grand qu’un sou…

 

– Bientôt il n’en restera plus, songea-t-il. J’aurais dû me montrer plus économe… Que me valait-il de nourrir tous ces gens, quand eux me laissaient crever de faim sans sourciller, autrefois ? Ah ! La bête que je suis ! Le vaniteux !

 

Et pris d’un sentiment de rage, il congédia brutalement les jouisseurs qui profitaient de ses largesses.

 

Pendant des mois il se raconta du fond des chaumières qu’il vécut en reclus, emmailloté dans ses gilets de laine mangés aux mites, car il refusait de « gaspiller » les monceaux de bûches entassés dans sa remise. Il avait tellement restreint son train de vie, par peur de manquer, que les denrées commencèrent à se gâter, abandonnées dans les garde-mangers, les bijoux et chandeliers, tantôt lustrés et chatoyants ternirent et la poussière tomba, plongeant les souvenirs luxueux, dans un sommeil oublieux…

 

Un soir que l’hiver s’était installé, rude et glacé, on frappa à la porte. Antonin qui ne s’attendait plus à recevoir de visite, ni n’en souhaitait d’ailleurs, écarta précautionneusement le rideau, pour ne pas se faire voir et aperçu le colporteur, qui lui avait rendu visite l’année passée.

 

– Si je lui ouvre, pensa-t-il, il sera content de trouver logis et me redonnera de ce papier qui me fait tant défaut…

Ravi de sa bonne idée, il s’apprêtait à l’accueillir quand il se ravisa :

– Ah ! Mais si je lui ouvre, il voudra profiter de ma fortune, comme tous les autres et me plumera jusqu’au dernier sou ! Assurément, il aura su ma réputation au village et se sera dit quel parti il pouvait en tirer ! Ah, le traitre ! Mais Antonin n’est pas un idiot !

– Passe ton chemin ! finit-il par crier de derrière la porte. Il n’y a rien pour toi ici !

 

Calmement, d’une voix profonde et douce, le colporteur répondit :

– La charité t’aura donc quitté toi aussi ! Comme c’est regrettable…

 

Et l’homme passa son chemin.

 

Antonin se félicita, content d’avoir échappé au piège. Il s’endormit ce soir du sommeil du juste…

Le lendemain, il s’éveilla, frigorifié, aux petites heures du matin. Etonné de cette sensation qu’il ne connaissait plus, il se frotta vigoureusement les yeux et regarda autour de lui : plus rien, que sa vieille paillasse et sa pauvre masure au-dessus de sa tête. Tout avait disparu. Avait-il donc rêvé ? Soudain il s’écria :

 

– Modeste ! Nom di Diou !

 

            Il sortit comme un fou et courut à l’emplacement, où il se souvenait avoir vu son âne pour la dernière fois. La bride, usée comme tout le reste, pendait à terre, sans point d’âne à l’autre bout…

 

– Mon Dieu qu’ai-je fait ? Dans ma vanité, ma stupidité, j’ai laissé crever mon âne… mon seul ami… Me voilà bien malheureux à présent ! Ah, comme j’aurais aimé ne jamais connaître ce maudit papier !!

 

A ces mots le colporteur surgit d’un buisson :

– Crois-tu vraiment ce que tu dis ?

 

            Antonin, surpris et incrédule répliqua :

– Je vous avais dit que ces choses n’étaient pas pour moi, que je ne voulais pas y toucher à vot’ papier, qu’il était pas fait pour moi !

– Peut-être, cependant c’est toi et toi seul, qui as dessiné dessus…

– Sans doute et je suis bien puni de l’avoir fait ! Comme je regrette d’avoir été si bête et si méchant !

– Pourtant il existe une solution…

 

            Intrigué le paysan tendit l’oreille :

– Laquelle ? Ne me faites pas languir ! Ah, que ne donnerais-je point pour que tout redevienne comme avant !

– C’est bien là la question… Que serais-tu prêt à donner ?

 

            « Donner », oh, comme il n’aimait plus ce mot !

–  Bah dame ! Quèque vous demandez ?

– Oh, mais je ne demande rien. Je ne demande jamais rien, en fait. Il me suffit de laisser parler la concupiscence des gens, ajouta-t-il pour lui-même, leur mesquinerie, leur jalousie, tous ces charmants défauts, si utiles à ma cause…

– Mais alors quoi ?

– C’est bien simple, il te suffit de dessiner ton âne, sur ce bout de papier qu’il te reste, avec ton sang…

– Jamais ! Jamais je ne toucherai de nouveau à ce papier de malheur !

– Comme tu voudras, conclut simplement le marchand, qui disparut en trois enjambées, persuadé que le paysan le rappellerait bientôt.

 

            Triste et dépité, Antonin regagna le logis. Assis sur son banc, il tira machinalement de sa poche le petit bout de papier qui y était resté et le jeta aussitôt avec horreur dans le feu.

            Le ventre vide il se coucha ce soir-là :

 

– A quoi bon lutter ? se dit-il, maintenant que je ne serai plus heureux…

 

FIN

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